Je suis comme dans un rêve délirant et extatique alors que je regarde les lèvres de mon adorable bébé autour de mon téton douloureux.
Il est né au petit matin. Tout en douceur, dans le jacuzzi d’eau salé du toit. C’est Ravil qui l’a attrapé et l’a sorti de l’eau pour qu’il prenne sa première bouffée d’air, assisté par Svetlana.
C’était parfait.
La nuit était calme, baignée par le clair de lune. Des bougies formaient un cercle autour du jacuzzi. Ravil me massait les oreilles et la nuque tout en prononçant des suggestions hypnotiques dès que j’avais une contraction. Étonnamment, je n’ai pas souffert du tout. J’ai passé huit heures dans un état de concentration intense pour rester détendue et ne pas réfléchir afin que mon corps puisse faire ce qu’il connaissait d’instinct. Mais sans douleur.
Ravil et Svetlana n’arrêtaient pas de m’encourager, comme une athlète olympique en route pour la médaille d’or. J’ai d’ailleurs autant de courbatures qu’après une compétition, et la récompense…
Adorable.
Inestimable.
Notre bébé angélique est arrivé, et il apprend à téter pendant que je me repose au lit.
Ma mère doit passer dans l’après-midi. Gretchen prend l’avion pour venir à Chicago.
Ravil ne laisse pas ses hommes venir nous voir trop souvent, car il ne veut pas que je me fatigue, mais ils sont tous passés m’embrasser le front et me dire que grâce à moi, Ravil est le plus heureux des hommes.
Enfin, ça, je le sais déjà. Il a encore plus pleuré que Benjamin, à la naissance. Il m’a prise dans ses bras, m’a embrassée et a versé des larmes de joie.
Moi, je n’ai pas encore pleuré, mais pas parce que je ne suis pas heureuse. Plutôt parce que le sommeil et le choc physique de l’accouchement m’ont laissée dans une sorte de stupeur.
Quelqu’un frappe doucement à la porte, qui s’ouvre. Je suis surprise de voir mon père enter dans son fauteuil roulant, suivi par ma mère et Ravil.
— Papa !
Ça y est, je pleure. Je verse des larmes de joie.
— Tu es venu. Comment ?
Je regarde Ravil, qui m’adresse un sourire radieux.
Je me mets à sangloter de plus belle. Comment a-t-il deviné à quel point la présence de mon père comptait pour moi ? Je pensais qu’il ne verrait pas le bébé avant que je sois assez en forme pour me rendre à la maison de repos, mais Ravil l’a mené à moi.
Évidemment.
Tout est possible, avec lui.
Ma mère aussi est en pleurs, et elle soulève un Benjamin rassasié de mes bras pour le serrer contre sa poitrine.
— Benjamin Nicholas Baranov, murmure-t-elle. Trois kilos cent. Un vrai petit ange.
— Il est parfait, hein ? dis-je d’une voix larmoyante.
Elle se met à le bercer, bien qu’il dorme déjà.
— Très beau, répond-elle. Très intelligent. Très chanceux.
Ravil pose une main dans le dos de ma mère et regarde Benjamin par-dessus son épaule. Elle lui adresse un grand sourire. Elle aime beaucoup mon mari, plus que je ne l’aurais cru possible, mais il a dû faire des efforts. Il lui a apporté des fleurs et a envoyé ses hommes effectuer des réparations chez mes parents. Il a fait en sorte que mon père rentre à la maison et a engagé une personne à temps complet pour s’occuper de lui.
— Oi, dit mon père.
— Toi ? lui demande ma mère d’un air taquin. Tu veux le bébé ?
Elle place Benjamin dans le bras valide de mon père. La partie mobile de son visage se transforme en énorme sourire. Je ne suis pas sûre qu’il accepte totalement Ravil, mais je crois qu’il commence à bien l’aimer. De sa main handicapée, il actionne les boutons de son fauteuil pour le faire pivoter.
— Je ne sais pas si Benjamin est prêt pour les manèges, papa.
— J’ai appelé ton frère, me dit ma mère à voix basse. Je lui ai dit de ne pas t’appeler au cas où tu dormirais, mais il est impatient de rencontrer Benjamin à Thanksgiving.
Cette année, c’est ma mère qui nous accueillera, avec l’aide de Ravil. Il a engagé un traiteur, alors elle n’aura qu’à préparer ses tartes préférées, si elle le souhaite.
— Bon, allez, on ne veut pas trop te fatiguer. Ou fatiguer ton père. Ravil a eu la gentillesse de nous louer un véhicule adapté pour venir ici.
— Non, je l’ai acheté, corrige Ravil d’un ton nonchalant. Il est à vous, Barbara. Je suis désolé de ne pas y avoir pensé plus tôt.
Ma mère agite les mains, surprise.
— Oh là là ! Oh là là, vous n’étiez pas obligé de faire ça !
— J’espère qu’il vous sera utile. Sinon, on le revendra. Mais je ne veux pas que Nick soit coincé chez vous.
Il s’assoit à côté de moi sur le lot et m’embrasse sur la tempe.
— Je ne savais pas que tu leur avais acheté un véhicule, dis-je.
Mais je ne suis pas étonnée. Ravil se plie discrètement en quatre pour que ma famille et moi ayons tout ce qu’il nous faut.
— Je t’aime, susurré-je.
Il me serre dans ses bras.
— Tu as l’air fatiguée, kotyonok.
Je hoche la tête.
Il m’embrasse à nouveau sur la tête et soulève Benjamin du bras de mon père pour le remettre dans son petit berceau.
— On va vous laisser dormir, tous les deux. Je raccompagne tes parents chez eux. Je t’aime.
Je prends ma mère dans mes bras et serre la main de mon père avant d’embrasser Ravil, mon beau mari, en plein sur la bouche.
— Je t’aime comme une folle.